Je suis né à Paris 14ème arrondissement le 13/04/1937. Mes parents Henoch Pachter (dit Henri pour franciser le prénom) et Sonia Sarah Kholodenko se sont mariés à Paris le 10/08/1935.
Mon père est né le 13/04/1901 à Zawiercie (Pologne) et ma mère le 28/04/1904 à Odessa (Ukraine, mais à l’époque dans la Russie Impériale Tsariste sous le règne de Nicolas II).
Mes grands parents paternels et maternels s’appelaient Yerachmiel Pachter et Esther Rivka, Mikhaïl Moshe Joseph Kholodenko et Lishal Sirotine.
Mes parents habitaient 59 Boulevard de Strasbourg où mon père avait également dans le même immeuble son atelier de confection de vêtements imperméables, à l’époque fabriqués en toiles caoutchoutées très pesantes.
En 1940 au moment de la guerre j’avais trois ans, j’ai donc le souvenir de nuits où il fallait descendre aux abris dans les caves de l’immeuble principal donnant sur le boulevard de Strasbourg.
Mon père avait dû quitter sa ville natale de Zawiercie au moment de la guerre russo-polonaise de 1920, son frère aîné ayant été tué lors de cette guerre sous l’uniforme polonais la famille s’est réunie et a décidé qu’un fils mort pour la Pologne çà suffisait et que mon père devait quitter la Pologne avant d’être appelé dans l’armée.
Il a donc rassemblé ses affaires et est parti en Allemagne, puisqu’il parlait Allemand, Yiddish et Polonais.
Il a donc connu en Allemagne un ami allemand, avocat, qu’il retrouvera à Paris dans des circonstances bien particulières !
En ce qui concerne ma mère elle venait d’une famille de la bonne bourgeoisie Juive d’Odessa où son père Mikhaïl était architecte. En 1917, lors de la révolution d’Octobre, toute la famille était en vacances en Allemagne pour une cure dans une station thermale du sud de l’Allemagne. Après la révolution ils ne sont pas rentrés en Russie et se sont installés en Suisse à Zurich où ma mère a fait ses études et où son frère Siegfried, mon oncle, a étudié au Polytechnikum de Zurich avec un certain Albert Einstein qui était dans une autre classe que lui.
Mon grand-père n’a pas pu travailler en tant qu’architecte en Suisse à l’époque car il n’y avait pas d’équivalence des diplômes, mais il pouvait travailler en tant qu’ingénieur en bâtiment.
Par la suite la famille a déménagé pour s’installer en Allemagne à Berlin où ma mère a fréquenté l’université.
Au début du nazisme mon père est parti pour la France, où les débuts furent difficiles, il lui a fallu accepter des travaux durs dans des usines de l’Est de la France avant d’apprendre la langue et d’aller à Paris. La famille de ma mère a également quitté l’Allemagne à temps pour la France où ma mère a travaillé comme vendeuse interprète dans une maison de haute couture tandis que mon oncle Sigfried a entrepris des études de médecine, ses études de physique ne pouvant déboucher à l’époque que sur l’enseignement qui lui était fermé en tant qu’étranger !
J’ai un ancien souvenir datant de 1940 quand j’avais trois ans au début de la guerre et des bombardements allemands sur Paris, il avait fallu durant une alerte descendre aux abris dans la cave de l’immeuble principal, celui qui était le plus près du Boulevard de Strasbourg. J’avais absolument voulu aller voir dans le boulevard avant de remonter dans l’appartement. Il y avait un marché couvert situé à l’angle du Boulevard de Magenta et de la rue de Chabrol, non loin de la gare de l’Est. Comme il y faisait très sombre je disais « On va au marché noir » et mes parents m’avaient fait la leçon avec force pour m’interdire de dire çà, et à l’époque je n’avais pas compris pourquoi je ne devais pas le dire !
Après l’armistice et l’occupation de Paris par l’armée allemande il y a eu un événement étrange pour moi ! L’ami allemand de mon père, qui était avocat en Allemagne, avait été mobilisé dans la Wehrmacht et comme il était resté en relation épistolaire avec mon père il a repris contact et mes parents l’invitaient régulièrement à la maison. Il arrivait bien sûr en uniforme, avec la casquette, les bottes, le pistolet au ceinturon et j’étais terrifié. D’autant plus qu’il avait un garçon de mon âge et qu’il voulait jouer avec moi ! Mais quand il avait enlevé la casquette la vareuse le ceinturon et le pistolet il redevenait pour moi un homme normal !
C’est cet ami de mes parents qui les a protégé tant qu’il a pu, les avertissant quand il devait y avoir des rafles. Et puis un jour il a dit à mon père qu’il fallait partir pour la zone libre, et lui même n’étant pas un nazi a été muté sur le front de l’Est où il a été tué. Mais il avait préparé avec mon père notre voyage vers la zone libre en passant par Bourges où mon père avait un client et ami, Monsieur Schwab, marié à une française catholique, madame Champeault, dont il avait pris le nom à temps. Il avait trois magasins d’imperméables à Bourges, Moulins et Nevers et ces magasins s’appelaient tous « A l’averse » !
Nous sommes donc allés à Bourges chez eux, ils habitaient une grande maison avec un jardin et dans ce jardin un bassin rond qui était à sec. Pendant que mes parents et leurs hôtes discutaient pour préparer le passage de la ligne de démarcation je suis allé jouer dans le jardin. J’ai trouvé les robinets du bassin, je les ai ouvert, et lorsqu’il y a eu assez d’eau je me suis embarqué sur un paillasson en guise de radeau ! Au bout d’un petit moment le radeau a pris l’eau et j’ai hurlé pour appeler au secours, j’ai été secouru et j’en ai été quitte pour une bonne fessée !
En fait le passage de la ligne devait se faire séparément pour ma mère et moi à pied devant le poste allemand tenu par des soldats assez âgés et mon père de nuit avec un passeur. Madame Champeault nous avait accompagné, elle est revenue seule et tout avait été arrangé par l’officier allemand ami de mon père qui connaissait celui qui commandait ce poste de contrôle !
Nous sommes ensuite allés dans un petit village de Corrèze, Ségur le Château, dans une ferme appelée « La Jeunie » appartenant à un couple d’agriculteurs Monsieur et Madame Darnac.
Après l’invasion de la zone libre par les Allemands à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord de Novembre 1942 mon père a rapidement rejoint le maquis et moi j’ai été recueilli par une famille protestante de Meyssac à la limite de la Corrèze et du Lot à la demande du pasteur protestant de Brive la Gaillarde.
Cette famille habitait dans le village,c’était Monsieur et Madame Petiti et ils avaient une fille Joëlle de trois ans plus jeune que moi, que j’ai retrouvé en 2019 grâce à un groupe FB concernant le village de Meyssac. Elle possède toujours la maison de ses parents et habite maintenant St Rambert d’Albon près d’Orléans .
Le curé du village de Meyssac était dans le secret et pour faire plus vrai il m’avait pris comme enfant de chœur. J’avais appris le piano, et pour ne pas traîner dehors et prendre des risques je devais faire de longues heures de piano pendant que les copains de l’école jouaient dehors tous ensemble.
Et puis le débarquement est arrivé. Nous, les gosses, avions été autorisés exceptionnellement à aller dans une chambre fermée d’habitude où il y avait le poste de radio, et nous avons entendu sur la BBC avec le brouillage allemand l’annonce du débarquement des forces alliées en Normandie. Ensuite le grand-père tenait à jour une carte de France où avec des épingles et un fil rouge il marquait les zones libérées telles que la radio de Londres les avait annoncées !
Un jour, en Août, les Allemands ont quitté la région, libérée par les maquisards. Et, un jour d’Août 1944 mon père est arrivé pour me récupérer sans que j’ai pu en être prévenu, dans une camionnette du maquis, entouré de jeunes maquisards armés de pistolets mitrailleurs « Sten » et nous avons fait le voyage jusqu’à Ségur le Château dans cette camionnette du maquis, assis à l’arrière sur des caisses de munitions abandonnées par les allemands et les pieds sur un tas d’armes également trouvées dans les locaux abandonnés par les Allemands en retraite.
J’ai retrouvé ma mère qui avait accouché de ma sœur née à Brive en Novembre 1943. Mon père a fait un voyage sur Paris pour préparer notre retour puis il est revenu nous chercher et nous avons fait un long voyage en train. Je me souviens que les ponts sur la Loire ayant été détruits par les bombardements le passage du fleuve devait se faire sur des pontons tirés à main d’hommes le long de câbles tendus entre les deux rives, un train étant arrêté sur chaque rive et de longues files de gens chargés de ballots et de valises attachées avec des ficelles descendant des chemins escarpés et glissants de chaque côté et remontant de l’autre. Au bout de plusieurs heures les deux trains repartaient, l’un vers le Nord, l’autre vers le Sud. Nous sommes arrivés Gare d’Austerlitz et j’ai vu pour la première fois des camions semi-remorques de l’armée américaine, marqués de l’étoile blanche !
Ma mère a retrouvé son frère Siegfried Cholodenko, mon oncle, qui avait été médecin du maquis dans la résistance et qui était maintenant médecin capitaine dans l’armée française.
Donc mon oncle Siegfried Samuel Cholodenko est né le 23 Octobre 1902 à Odessa. En Octobre 1917 lors de la révolution communiste en Russie Tsariste il était en vacances avec sa sœur, ma mère, dans une station thermale allemande. Ils ne sont jamais retournés en Russie et ils se sont installés en Suisse où il a fini ses études secondaires et fait ses études universitaires au Polyteknikum de Zurich avec un certain Albert (Einstein). La famille s'est ensuite installée à Berlin avant de rejoindre la France au début des années 30 devant la montée du nazisme. Se rendant compte que ses études ne menaient à rien en France puisque le seulo débouché était l'enseignement qui lui était barré car n'ayant pas la nationalité française il a alors entrepris des études de médecine, et ma mère, qui parlait plusieurs langues et avait beaucoup de classe a travaillé comme vendeuse interprète dans une maison de haute couture pour payer les études de son frère. Mon oncle a donc terminé ses études de médecine avant le début de la guerre en 1939. Réfugié à Lyon avec ma grand mère il a rejoint le maquis dans l'Ain et était médecin dans un hôpital militaire clandestin du maquis installé dans une grotte dans la montagne dans un endroit difficilement accessible. En Août 1944 de nombreux blessés, légers ou plus gravement atteints, y étaient traités. Devant l'avancée des troupes alliées débarquées en Provence le 15 Août 1944 et qui remontaient rapidement vers le nord le long de la vallée du Rhône, les Allemands se repliaient, harcelés par les maquisards. Pour sécuriser leur repli et empêcher les embuscades l'armée allemande a entrepris des opérations qui se rapprochaient dangereusement de la grotte où se trouvait l'hôpital du maquis. Les responsables ont donc décidé de l'évacuer avec tous les blessés transportables ou capables de marcher en abandonnant sur place les cas les plus graves et intransportables. Au cours de cette évacuation ils se sont trouvés au contact d'unités allemandes et ont dû faire le coup de feu pour les retarder et se dégager. Heureusement les Allemands n'ont pas continué la poursuite. Il faut dire que parmi les blessés graves il y avait plusieurs prisonniers allemands que mon oncle avait soigné, et il parlait également parfaitement allemand, ayant fait ses études secondaires et universitaires en Suisse Alémanique. Ils ont donc dit à mon oncle que si c'était des unités régulières de la Wehrmacht qui les découvrent ils leur diraient qu'ils avaient été bien traités et soignés et intercéderaient pour que les blessés maquisards Français ne soient pas exécutés. Heureusement les Allemands ayant abandonné la poursuite l'hôpital clandestin ne fut jamais découvert. Les évacués, dont mon oncle qui avait fait le coup de feu pour protéger les blessés, ont passé plusieurs jours et plusieurs nuits cachés dans la forêt. Un matin il se sont rapprochés de l'orée de cette forêt pour observer de loin une route au fon de la vallée. Soudain l'un des responsables qui possédait des jumelles s'est écrié : "Il y a un convoi de camions et de chars"! Quelques instants plus tard il a dit "Ce ne sont pas des camions et des chars allemands! C'étaient des chars Sherman et des camions GMC de l'US Army, marqués de l'étoile blanche distinctive de l'armée des USA! Ils sont alors descendus en courant autant qu'ils le pouvaient pour rejoindre la route et se faire reconnaître. Les soldats américains leur donnaient cigarettes et chocolat mais ce qu'ils ont demandé en premier c'est du savon, denrée introuvable à l'époque pour eux. L'hôpital a pu être évacué et tous les blessés hospitalisés dans un véritable hôpital. Mon oncle est resté dans l'armée ensuite et s'est marié en grand uniforme de Médecin Capitaine avec une jeune femme de la famille Jabotinsky, ils ont eu un fils, mon cousin, Michel David, qui a été officier de Tsahal et que j'ai bien connu en Israël, où il est malheureusement décédé des suites d'une crise cardiaque.
Je suis retourné à l’école communale de la rue Martel dans le Xème arrondissement, pas très loin du 59 Boulevard de Strasbourg où nous habitions et où mon père a redémarré son atelier de confection de vêtements imperméables.
A cette époque il était urgent pour lui de travailler à nouveau et tout ce qui pouvait être fabriqué se vendait, le plus difficile étant de se procurer de la marchandise pour pouvoir confectionner des vêtements imperméables vendus chez ses clients à Paris et en Province !
En Mai 1945 la guerre s’est terminée en Europe avec la capitulation allemande. Je me souviens de deux choses de cet événement ! Mon père m’a amené sur les Champs Élysées pour le défilé de la victoire et m’a pris sur ses épaules pour que je puisse voir le défilé malgré la foule sur le trottoir.
Et il y a eu une cérémonie à la synagogue de la rue de la victoire, la bien nommée ! Nous y sommes allés avec mon père et plusieurs officiers américains dont des cousins à lui. Et nous y sommes allés en Jeep, dans une jeep découverte avec l’étoile blanche sur le capot, et j’ai été invité à conduire la jeep dans les rues désertes de Paris sur les genoux d’un soldat américain, et on peut imaginer que je n’étais pas peu fier !
Nous avons habité ensuite dans le XXème arrondissement rue Olivier Métra, non loin de la Place des Fêtes et en haut de la rue de Belleville.
Mon père a repris contact par courrier avec sa sœur Léa, qui avait quitté la Pologne pour la Palestine dans les années trente. Elle était mariée, vivait près de Tel Aviv à Ramat Gan et avait une fille, Ruhama, ma couine germaine donc !
Ils sont venus nous rendre visite et ont fait la traversée Haïfa Marseille à bord de l’ancien paquebot « Jérusalem » de la compagnie israélienne Zim et nous sommes allés les chercher à Marseille avec mon père en voiture avec sa Simca Aronde. Nous avons fait le voyage en deux étapes avec une nuit à Lyon à l’aller comme au retour !